Note de l’auteur : Cette interview a été réalisée dix minutes avant l’entrée sur scène de l‘artiste. Après une journée difficile et un timing très serré (son bassiste, resté bloqué à la frontière italienne, a été remplacé au pied levé par le talentueux guitariste Amar Sundy), il a offert un grand moment à Route 66, faisant preuve une fois de plus d’une gentillesse exemplaire. Répondant aux questions, tout en accordant sa guitare, il a su créer une ambiance magique. Pour tous ces instants et pour tout son talent, merci Eric Bibb !
Eric, pour commencer, peux-tu revenir sur les circonstances de ta rencontre avec la guitare de Bukka White (ayant inspirée l’album « Booker’s Guitar » paru sur le label Dixiefrog en 2010) ?
Oui !
J’avais rencontré un fan, en Angleterre, qui m’attendait à la fin d’un concert afin de me remercier pour celui-ci. Il m’a également dit que, si je le souhaitais, il pouvait me montrer la guitare (métallique de type « National ») qui avait appartenue à Bukka White (grand chanteur et guitariste américain, né en 1906 et décédé en 1977, spécialiste de la slide guitar et du « talking Blues il était le cousin de BB King »). J’ai accepté avec beaucoup d’enthousiasme et nous nous sommes donnés rendez-vous, le lendemain, à mon hôtel. Il a respecté sa promesse et j’ai pu prendre cet instrument incroyable entre mes mains. J’ai alors réalisé que c’était bien cette guitare qui avait été utilisée par Bukka White pendant tant d’années. C’était une expérience magique.
Quelles ont été les sensations que tu as ressenties la première fois que tu l’as eu dans les mains ?
Cela a été, pour moi, un véritable privilège. C’était un honneur spécial de voir cette guitare venir à moi. J’ai pu mesurer ses origines et ce qu’elle porte en elle. C’était comme un signe du destin qui m’indiquait que je pourrais, peut être, réaliser un hommage à Bukka White… ainsi qu’à toute cette époque de l’histoire du Blues.
Que représente Bukka White pour toi ?
Pour moi il était un véritable chef de file et un formidable exemple de ce qu’était le Blues au début de cette période (nommée « Pre-War Blues »). Il était quelqu’un qui voyageait et qui a permis de redécouvrir des artistes tels que Skip James, Mississippi John Hurt… Il était un bel exemple de ce que cette culture nous a offert.
Pourquoi ne chantes-tu pas certaines de ses chansons sur ce disque ?
Je pense qu’il y a une chose plus importante que de reprendre ses chansons. A savoir, faire en sorte de continuer la tradition. Tous ces hommes (Bukka White, Skip James, Mississippi John Hurt…) étaient des témoins de leur époque. Ils étaient contemporains à celle-ci, ce que je ne suis pas.
Ils faisaient leurs propres chansons et nous permettaient de les partager. J’essaye de faire perdurer cet état d’esprit et d’y apporter ma propre contribution, ma personnalité et mon humeur…tout en tenant compte des problèmes liés à notre société.
Nous avons besoin d’autres mots et de nouvelles chansons afin de continuer à perpétuer les anciennes. Je tiens à ce que mes compositions appartiennent à cette tradition !
Penses-tu être à la musique ce que Leroi Jones (intellectuel militant afro-américain né en 1934, auteur de pièces de théâtre engagées, de poèmes et d’ouvrages tels que le magnifique « Le Peuple Du Blues » écrit alors qu‘il soutenait le mouvement du « Black Power ») est à la littérature ?
(rires) Oh…. Peut être…
Je le connais bien, je l’ai souvent rencontré…
Je pense que la contribution d’Amiri Baraka (nom de Leroi Jones depuis sa conversion à l’Islam en 1968) est très importante. Il est aussi de mon devoir de faire des chansons qui grattent l’écorce des problèmes actuels et qui, sous forme de Blues contemporains, soient des scénarii de la vie actuelle.
Quelles sont les histoires qui sont évoquées dans « Booker’s Guitar » ?
Pour ne te citer qu’un exemple, il y a une chanson (« Flood Water ») qui évoque les crues catastrophiques du Mississippi en 1927. Celles-ci avaient coûté la vie à de nombreuses personnes et avaient provoqué une grande détresse chez les survivants qui avaient tout perdu.
Beaucoup d’artistes de l’époque s’étaient penchés, en chansons, sur le sujet. Un drame qui en rappelle bien d’autres, qui se sont déroulés il y a encore peu de temps…
La politique a-t-elle une part importante dans ton travail ?
La politique est une partie de la vie, de nos expériences…
Plus spécialement quand on est afro-américain et qu’on a été touché, de près ou de loin, par l’esclavagisme et la ségrégation raciale. Il est important de montrer cet aspect dans la musique, il ne peut que l’influencer…
Pour toi, le Blues peut-il encore apporter des solutions sociales ?
Oui, je crois que le Blues est toujours un messager qui donne conscience aux gens de ce qui doit changer dans la vie…
Depuis son investiture à La Maison Blanche, que penses-tu du travail de Barack Obama ?
Je pense qu’il est une figure positive et un modèle d’intégrité. Si quelqu’un veut montrer que les gens peuvent vivre ensemble, et non pousser à ce qu’ils se séparent, c’est bien lui.
C’est sa mission…
C’est une personne qui veut pousser les américains à communiquer davantage entre eux. Il est le leader dont nous avions besoin, j‘en suis sûr…
Quels sont, pour toi, les problèmes sociaux les plus importants aux Etats-Unis aujourd’hui ?
Je crois qu’il faut absolument donner une place prioritaire à l’éducation. Il n’y a qu’elle qui peut nous aider à comprendre notre histoire, les erreurs qui ont été commises et, de ce fait, éviter qu’elles se reproduisent. La période de l’esclavagisme et de l’après esclavagisme a été un véritable génocide pour toute une partie du peuple américain. C’est quelque chose qui doit sensibiliser le plus grand nombre de gens chez nous.
Pour conserver notre histoire, notre besoin prioritaire est l’éducation !
As-tu un message en particulier pour ton public européen ?
Mon message est un message de fraternité et de paix !
Je crois que la musique et un langage universel et je suis très heureux de pouvoir le parler avec énormément de gens à travers le monde. Je tiens à ce que ma musique permette à tous ceux qui l’écoutent d’être touchés par ce message et de considérer tout homme comme un frère. C’est à la fois simple… et compliqué (rires).
Qu’est-ce qui te sensibilise le plus, ici, en Europe ?
Je suis toujours très content d’être en France, en particulier, et en Europe en général. Les gens y démontrent toujours qu’ils ont une appréciation très développée de la culture afro-américaine.
C’est surtout vrai parmi les amateurs de musique…
Je pense sincèrement que c’est quelque chose qui peut m’aider à titre personnel. Cela me pousse à faire tout mon possible afin de montrer que les gens peuvent vivre ensemble. C’est un aspect très positif de la culture européenne. Elle sait s’ouvrir à de nombreux éléments extérieurs. Pas uniquement en ce qui concerne l’art afro-américain mais aussi en ce qui concerne tout ce qui touche au continent africain. Ils comprennent parfaitement bien toutes ces cultures qui les inspirent…
Souhaites-tu ajouter une conclusion ?
Je suis simplement heureux de continuer ma journée de la sorte. Je constate, avec beaucoup de joie, que je vais encore rencontrer beaucoup de gens ce soir car nous jouons à guichets fermés. C’est vraiment fantastique, je suis heureux… merci à tous et merci à toi David.
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